ARLUS ou LUNEL ? Deux visions du luminaire français des années 50
Pendant longtemps, je me suis posé la question (et je ne suis pas le seul) sans jamais vraiment la trancher. Arlus. Lunel. Deux noms qui reviennent sans cesse dès qu’on touche au luminaire français des années 50–60. Deux maisons souvent confondues. Deux signatures rarement présentes sur les objets. Et un flou permanent dans les annonces, les ventes aux enchères, les expertises.
Avec le temps, l’œil se fait. On se trompe. On corrige. On affine. Et on finit par comprendre que, derrière des ressemblances de façade, Arlus et Lunel défendent en réalité deux visions très différentes du luminaire moderne.
Pourquoi on confond Arlus et Lunel
La confusion est presque inévitable. Les deux maisons partagent :
- Même époque : L'euphorie de l'après-guerre et des Trente Glorieuses.
- Même clientèle : Particuliers, architectes, et administrations pour l'équipement de masse.
- Même matériaux : Laiton, métal peint, verre opalin simple.
- Même absence fréquente de signature.
Elles produisent pour les intérieurs modernisés d’après-guerre. Résultat : soixante-dix ans plus tard, leurs luminaires sont partout… mais souvent sans identité claire. C’est là que commencent les erreurs d’attributions.
Arlus : la rigueur moderniste et l'anonymat industriel

Arlus, c’est d’abord une posture architecturale. Une façon de penser la lumière comme un outil, pas comme un ornement.
L’ADN et le Style Arlus

Arlus s’inscrit dans le modernisme d’après-guerre : fonction, rationalité, et efficacité. On y trouve des lignes droites ou strictement géométriques, des proportions sobres et très peu de décor. Ces luminaires sont conçus pour durer et s'intégrer discrètement.

L'esprit Arlus pourrait se résumer ainsi :
Arlus, c’est le luminaire qui s’efface au profit de l’espace. Il accompagne l’architecture.
L'Anonymat Industriel... Sauf les Pièces d'Exception
Historiquement, Arlus a privilégié la création issue de son bureau d'études interne, d'où son image de marque à la production cohérente et anonyme. Cependant, cette stratégie n'était pas absolue.
L'histoire nous révèle l'existence de collaborations très haut de gamme, prouvant que la maison savait se positionner sur le marché du prestige. L'exemple le plus éclatant est l'ensemble "Arum" (suspension et appliques) dessiné par Jean Royère en 1957. Royère, figure majeure du décor français d'après-guerre, a créé pour Arlus des pièces sculpturales et luxueuses, souvent répertoriées sous un numéro de catalogue précis (modèle 1370).

Ces modèles sont rares et représentent l'exception : la majorité des pièces Arlus sont anonymes, mais quand un nom sort, c'est immédiatement une pièce de collection.
Lunel : la séduction décorative et les auteurs

Lunel, c’est une autre logique. Là où Arlus cherche l’épure, Lunel assume le plaisir visuel et la présence décorative.
L’ADN et le Style Lunel
Même diffusion large que Arlus, mais avec une intention plus assumée : plaire visuellement. On retrouve souvent des formes plus rondes, des pieds galbés, un côté plus "italianisant". Le laiton est souvent plus travaillé, le verre coloré plus fréquent et les abat-jours plus présents.

L'esprit Lunel pourrait se résumer ainsi :
Lunel, c’est le luminaire qui assume sa présence décorative. Il participe activement à l’ambiance.
Les Collaborations : Une Stratégie d'Auteurs
Lunel a fait ponctuellement appel à des créateurs identifiés, ce qui crédibilise sa démarche et augmente sa valeur sur certaines pièces. La collaboration la plus emblématique reste celle avec Robert Mathieu.

Contrairement aux pièces de prestige de Royère chez Arlus, la collaboration avec Mathieu était plus fréquente et visait à intégrer un design fonctionnel et technique (bras articulés, contrepoids) à une production de masse. Cela a permis à Lunel d'élargir son catalogue vers une modernité technique, et ces pièces sont aujourd'hui parmi les plus recherchées.
Tableau clair pour distinguer Arlus et Lunel
Il ne s’agit pas de dire qu’une maison est "meilleure" que l'autre. Ce sont deux écritures du modernisme.
|
Critère |
Arlus |
Lunel |
|
Ligne générale |
Droite, stricte |
Souple, galbée |
|
Intention |
Fonction |
Séduction |
|
Influence majeure |
Modernisme français |
Influence italienne/Auteurs |
|
Présence visuelle |
Discrète (s'efface) |
Affirmée (se montre) |
|
Collaboration Star |
Oui, mais rare (ex : J. Royère, luxe) |
Oui, plus fréquente (ex : R. Mathieu, technique) |
La signature et la valeur : le nerf de la guerre
Ni Arlus ni Lunel ne signaient systématiquement leurs productions. Dans la majorité des cas, il n’y a rien. L’identification repose donc sur l’œil expert : la construction, les proportions, le système électrique et le type de laiton.
Valeur actuelle sur le marché
La nuance des collaborations est cruciale pour la valeur :
- Arlus aujourd'hui : La cote est solide et repose uniquement sur la force du dessin, la rareté et l’état, car il n'y a pas d'"effet signature" sur la majorité des pièces. Les pièces Royère sont inestimables.
- Lunel aujourd'hui : Cote plus raisonnable sur les modèles anonymes, mais un Lunel attribué à Robert Mathieu change totalement de catégorie, basculant dans le design signé français des années 50.
La valeur dépend autant du dessin que de l’attribution. Un Lunel exceptionnel dépasse largement un Arlus standard.
Comment moi, marchand, je fais la différence
Au début, je me trompais. Souvent. Je me fiais à des ressemblances vagues.
Aujourd'hui, l'évolution de mon œil s'est faite sur des détails. Je regarde la tension d’une ligne, la manière dont un pied s’élargit, ou la relation entre le socle et l’abat-jour. Ce sont des détails invisibles quand on débute, mais évidents ensuite. Ce travail d'affinage est la seule vraie autorité pour l'attribution.
Un dialogue historique
Arlus et Lunel ne sont pas en compétition. Ce sont deux écritures différentes d'un même moment de l'histoire du design français.
Arlus répond avec la rigueur architecturale. Lunel répond avec la séduction décorative.

















Sur Nest49, je propose régulièrement des pièces Arlus, Lunel, et des luminaires anonymes de la même époque, sélectionnés pour leur dessin et non pour leur seule signature.
LAMPADAIRE ARLUS 3 FEUX 1950
PAIRE D'APPLIQUES MAINS ARLUS EN BRONZE DORÉ
PAIRE D'APPLIQUES LUNEL 1950
PAIRE D’APPLIQUE VINTAGE EN LAITON ET MÉTAL LAQUÉ NOIR LUNEL